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Une évaluation de la direction spirituelle dans l'Église Orthodoxe, en particulier dans l'Orthodoxie en Grande-Bretagne

Interview avec Père Andrew Phillips (Eglise Orthodoxe de saint Jean le Thaumaturge – Eglise Orthodoxe Russe Hors Frontières) par Liviu Barbu (étudiant en doctorat à King’s College London). Interview prise par email (Août, 2006). Traduit de l’anglais par Père Andrew Phillips. Réponse à liviu.2.barbu@kcl.ac.uk

LB: Êtes-vous père spirituel?
P. AP: Je ne suis pas père spirituel, je suis confesseur.

LB: Qu'est-ce que cela signifie pour vous d'être un prêtre-confesseur?
P. AP: C'est très important pour moi, parce que c'est une préparation essentielle avant la communion. Notre but est l'auto amélioration, la purification de nos âmes, afin que la grâce de Dieu puisse pénétrer en nous et transfigurer nos vies.

LB: Que comprenez-vous par direction spirituelle?
P. AP: Aider les fidèles pour le salut de leurs âmes, en les conseillant comment combattre les tentations, les faiblesses, les péchés et les passions, mais aussi, plus particulièrement, à l'aide du sacrement de la confession.

LB: A votre avis, est-ce que les Chrétiens orthodoxes ont besoin de pères spirituels?
P. AP: Oui, nous avons besoin de quelqu'un qui nous aide dans le combat spirituel, mais personnellement, j'évite d'utiliser le terme de "père spirituel." Dans son sens le plus pur, - un ancien doué de clairvoyance - , je ne connais pas un seul père spirituel vivant en Europe occidentale de nos jours. Déjà à l'époque de saint Païssius de Niamets, au 18ème siècle, il y avait fort peu de pères spirituels, alors que devrions-nous dire de la situation actuelle? Je préfère le terme de "confesseur".

LB: Est-ce que le fait de ne pas avoir de père spirituel a des conséquences ?
P. AP: Nous avons besoin de confesseurs qui nous aident dans notre cheminement. Les conséquences du manque d’un confesseur sont le découragement, l'indifférence, et pour finir, éloignement de la pratique de la Foi Orthodoxe.

LB: Selon vous, qui peut être un père spirituel?
P. AP: Comme je l'ai déjà dit, de nos jours, je ne crois pas qu'il y en ait en Europe occidentale. En Europe orientale, il y a bien encore quelques anciens prêtres ou moines, mais même là ils sont peu nombreux. De nos jours, il y a des confesseurs, des prêtres qui prient, qui célèbrent les Offices, qui réfléchissent, qui ont une expérience de la vie, et qui tentent de faire des leur mieux. Je crois que nous approchons la fin des temps, où, si nous pouvons simplement garder notre foi, alors Dieu nous protègera.

LB: Que pensez-vous du ministère des évêques et des prêtres a l’égard de la direction spirituelle ?
P. AP: C'est une part essentielle de leur activité.

LB: Est-ce que la direction spirituelle offerte par des prêtres et des évêques est différente des autres formes de direction spirituelle Chrétienne (p.ex. celle par des moines non-ordonnés, des moniales ou des laïcs Chrétiens 1)?
P. AP: Parfois, c'est la même chose, sauf que le prêtre peut donner l'absolution dans le sacrement de la confession. D'autres fois, c'est différent, parce que le clergé a une compréhension ecclésiale et sacramentelle du monde qui est absente chez les laïcs, aussi pieux et spirituels puissent-ils être.

LB: A votre avis, est-ce que la direction spirituelle pour les Chrétiens laïcs est similaire ou différente de celle pour les moines?
P. AP: Très similaire. Saint Jean Chrysostome dit que la seule différence entre le monachisme et le laïcat, c'est le mariage. Pour le reste, le combat devrait être le même. Qu'est-ce qu'une famille, sinon un monastère en miniature? Lorsque nous nous marions, nous portons la couronne des martyrs; c'est la même lutte que dans un monastère, pas aussi profonde, pas aussi intense peut-être, mais cependant, essentiellement la même.

LB: Voudriez-vous décrire votre activité en tant que père-confesseur?
P. AP: Je suis confesseur et confesse ceux qui viennent auprès de moi. J’observe leurs progrès, leur parle, leur téléphone, leur envoie des courriers électroniques, les conseille du mieux que peux, et leur demande aussi de prier pour moi, afin de pouvoir les aider. Nous sommes tous pécheurs.

LB: Comment décrivez-vous la relation que vous avez avec vos enfants spirituels?
P. AP: Je les guide et les soutiens dans leurs difficultés, tout en leur montrant mon amour.

LB: Comment comprenez-vous la pratique de l'obéissance au père spirituel?
P. AP: Si vous n'obéissez pas aux suggestions du confesseur, vous chuterez spirituellement et perdrez ainsi la grâce.

LB: Y-a-t'il une chose sur laquelle vous insistez particulièrement dans la direction spirituelle?
P. AP: La régularité en confession et la persévérance dans la lutte, car le repentir est notre besoin permanent. Nous devons continuellement essayer, réessayer, 7 fois 70. La seule différence entre les saints et nous, c'est qu'ils se repentaient sans cesse jamais abandonner, le combat tandis que nous ne faisons pas cela, car nous n’avons pas assez de foi; et alors nous renonçons à la lutte.

LB: Quelles sont vos sources d'inspiration pour la direction spirituelle?
P. AP: Sans aucun doute, l'Evangile, les Pères, les vies des Saints et les vies de pères spirituels et de saints contemporains, tels que p. Cleopa, p. Ilarion (Argatu), p. Dionysius (Ignat), p. Paisie (Olaru), p. Arsenie (Boca), et p. Arsenie (Papacioc) de Roumanie, le métropolite Zinovy (Mazhuga) de l'Église de Géorgie, saint Jean [Maximovitch] de Shanghai, Saint Jonah de Manchourie, Saint Laurent de Chernigov, Saint Luc de Simferopol, Saint Sebastian de Karaganda, l'Ancien Seraphim de Belgorod, p. Vitaly (Sidorenko), p. Seraphim (Romantsov), l'Ancien Sabbas des Cavernes de Pskov, p. Zosima (Sokur), p. John (Krestiankin) dans l'Église de Russie, les Anciens Porphyrios, Paissios, Joseph, Ephraim, Philotheos et Amphilochios dans l'Église de Grèce, Saint Nicolas (Velimirovich), Abba Justin (Popovich) ou p. Vojislav (Dosenovich) dans l'Église de Serbie.

LB: Prenez-vous en considération les Canons de l'Église et des Pères dans la direction spirituelle?
P. AP: Oui, bien sûr, mais ils doivent être appliqués avec grand discernement. Le discernement est la plus importante qualité du confesseur. Un confesseur qui n'a pas de discernement peut mener les âmes au naufrage spirituel.

LB: À votre avis, quel est le rôle du la sacrement de la confession dans la direction spirituelle?
P. AP: Le sacrement est la partie finale, ou le point culminant, de la direction spirituelle avant la communion.

LB: Proposez-vous principalement la direction spirituelle à travers le sacrement de confession?
P. AP: Le confesseur doit donner la direction spirituelle partout et en tout temps, par sa manière de vivre, dans la vie avec ses enfants (s'il est un prêtre marié), par ses sermons, par ses discussions, par ses écrits. Toujours.

LB: Considérez-vous que l'Église Orthodoxe a une tradition commune de direction spirituelle?
P. AP: Oui, absolument.

LB: Existe-t'il quelque chose de spécifique dans la pratique de la direction spirituelle dans votre propre Église / tradition?
P. AP: Dans l'Église de Russie, tous les prêtres sont autorisés à confesser, bien qu'en effet, ils confessent fort peu durant les premières années de leur prêtrise, jusqu'à ce qu'ils aient acquis de l'expérience sous la direction de prêtres plus anciens.

LB: A votre avis, est-ce que les Chrétiens Orthodoxes Occidentaux comprennent et pratiquent la direction spirituelle différemment des Chrétiens Orthodoxes Orientaux?
P. AP: A condition qu'ils soient intégrés dans l'Église et qu'ils aient laissé derrière eux toutes les coutumes hétérodoxes, il n'y a pas de différence du tout.

LB: Que considérez-vous comme étant une pratique erronée, s'il y en a, de la direction spirituelle actuelle dans l'Église Orthodoxe?
P. AP: Je suis très inquiet parce qu'hélas, il y a eu un très petit nombre de clercs (j'ai connu 3 cas, personnellement, dont 2 sont à présent décédés) qui sont tombés en "prelest" ("plani" en grec), c'est-à-dire, dans l'illusion spirituelle, et se sont imaginés qu'ils étaient de saints Anciens (Startsi). Ils ont alors commencé à s'imaginer qu'ils étaient clairvoyants, demandant l'obéissance absolue et une "adoration de héros" et ainsi de suite. En fait, ils souffrent eux-mêmes d'un terrible péché, en voulant être à même d'avoir le pouvoir sur les âmes d'autrui, de manipuler les âmes des faibles, et de créer un culte de la personnalité envers eux-mêmes.

Leur péché peut être très vite remarqué, parce qu'ils souffrent de fausse modestie et de fausse humilité. Mettez leur orgueil à l’épreuve, et vous verrez immédiatement leur faiblesse, ils perdront leur calme et se fâcheront et chercheront à se venger par la calomnie parce que leurs fraudes out été dévoilées. Ces personnes sont très dangereuses, parce qu'ils attirent des gens faibles et naïfs, en particulier des femmes d'un certain âge, et détruisant leurs vies avec de mauvais conseils qui peuvent avoir des conséquences catastrophiques. C'est un grande tentation et un grand mal; cela donne à l'Église (et à la confession) une mauvaise réputation.

LB: Quelles seraient vos suggestions pour une meilleure pratique de la direction spirituelle?
Que les prêtres partagent leur expérience l'un avec l'autre en général. De même, nous avons besoin d'une meilleure formation dans les séminaires de théologie pastorale. Je crois aussi que les hommes ne devraient pas être ordonnés prêtres avant l'âge canonique de 30 ans. Il y en a beaucoup trop qui sont ordonnés avant cet âge. Ce Canon existe pour une bonne raison. Nous ne devrions pas ignorer les Canons. J'ai vu beaucoup trop d’erreurs désastreuses à cause de l'ignorance de ce Canon.

LB: Quel est votre modèle de direction spirituelle?
P. AP: Des prêtres âgés, prêtres depuis 30 ans et plus, avec l'expérience de la confession.

LB: Considérez-vous que la direction spirituelle devrait être accomplie de manière spécifique dans le contexte Britannique?
P. AP: Non, mais les confesseurs doivent avoir une compréhension de l'arrière-plan culturel et des références culturelles de la personne qu'ils confessent. Confesser une femme est différent que confesser un homme, confesser un enfant n’est pas le même chose que de confesser un grand-père. De la même manière, on ne confesse pas un Anglais comme on confesse un Russe, ou on ne confesse pas un Roumain comme on confesse un Français. Une approche différente est requise à chaque fois.
En ce qui concerne les Anglais, il y a un problème spécifique, la culture traditionnelle anglaise est très réservée, puritaine, coincée et souvent hypocrite, en particulier au sujet des péchés sexuels, et les Anglais sont des gens qui ont besoin d'être mis en confiance avant de parvenir à se confesser. Ils n'aiment pas ouvrir leurs âmes; et s'ils ne les ouvrent pas, comment pourrions-nous les aider à guérir leurs passions secrètes? Ici nous avons une barrière culturelle qui peut être vaincue, si le prêtre est doux, compréhensif et les rassure. C'est différent avec les Russes, dont certains confesseront leurs secrets les plus intimes en public. Pour cette raison, je préfère confesser des Russes. Leur franchise fait qu’on peut les aider plus facilement.

1. Dans l’Eglise Orthodoxe les moines non-ordonnés font partie du laïcat. Les termes ‘moines ‘ et ‘Chrétiens laïcs’ sont utilisés ici seulement dans le but de différencier les moines des non-moines.

 


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